Le lead, le nerf de la guerre et de la dynamique commerciale entre une marque ou un industriel et son réseau de revendeurs : concessionnaires, revendeurs, artisans, installateurs, poseurs… Pourquoi la gestion des leads ressemble parfois à un tuyau percé pour ces marques à réseau ? Interview de Patrice Giraudon, fondateur de Smart CX (spécialiste de la relation client) et Jean-Lou Racine, DG du Phare (applicatifs digitaux).

Pourquoi parle-t-on de “fuites” dans la gestion des leads transmis à un réseau de revendeurs ?

Patrice Giraudon : « Les têtes de réseau veulent toujours plus de leads. Mais avant cette course au volume, elles devraient se poser d’autres questions de fond : quelle est la qualité ou maturité des leads ? Est-ce-que tous les leads collectés sont bien distribués au réseau ? Ensuite, est-ce-que les leads transmis au réseau sont bien traités commercialement ? Quelle est la réactivité commerciale ? Quel est le taux de transformation ? L’analyse de cette chaîne du lead – lead management – est souvent oubliée.

« Sans cette analyse, impossible de calculer le véritable ROI d’une campagne d’acquisition, impossible de mesurer la réactivité commerciale du réseau et donc de le challenger. C’est du gaspillage. Pour rappel, un lead collecté puis qualifié et transmis au réseau coûte environ 80 à 100 €. Lorsque l’on parle de 5 000, 10 000 ou 15 000 lead par an, il est facile de faire tourner la calculatrice. »

Jean-Lou Racine : « Cela fait 25 ans que je tourne autour de ce sujet. J’ai même créé Le Phare avec cette idée d’aider les industriels à se rapprocher de leur public cible et améliorer leur dynamique business. Ce que je constate, c’est que les marques savent attirer les leads, mais l’entretien du lead, la relation commerciale avec le client pro (le revendeur) reste un sujet compliqué et sensible. Surtout lorsque l’on parle de réseau hors-contrôle et multimarques.

Des enquêtes de satisfaction montrent que, globalement, un lead sur trois n’est pas rappelé par le réseau. Une dynamique de leads, c’est push et pull. Quand le contexte économique porte le business, tout va bien. Mais lorsque les choses se durcissent, cette problématique de lead management, c’est le cœur du moteur. »

Est-ce la distribution du lead qui permet de construire son réseau ? Ou est-ce la cartographie du réseau qui permet de bien distribuer le lead ?

PG : « Cette cartographie, c’est la première étape d’une stratégie de lead management : comment j’organise mon réseau ? Comment je construis mon réseau composé de quelques centaines de revendeurs de niveau 1, 2, 3… et sur la base de quels critères ? Comment je garde également dans mon CRM et espace pro, les milliers d’artisans qui, un jour, ont passé une commande ?

Cette cartographie permet d’organiser la distribution des leads. Mais rien ne doit être figé. C’est le lead qui détermine cette carte, et la carte qui fait le lead. Dans ce cercle vertueux, le rôle de l’animateur commercial est fondamental. »

Comment cette cartographie des revendeurs doit être affichée sur le site web de l’industriel ?

JL. R : « C’est un équilibre délicat. Il faut rassurer le consommateur en lui montrant qu’un installateur est proche de chez lui. Et en même temps, éviter l’affichage des coordonnées directes du professionnel. Sinon, vous avez un point de fuite. Vous perdez la traçabilité du lead. Au-delà de ça, sur son site web, l’industriel doit changer de discours pour passer d’une logique de produit à une logique de service. Il ne s’agit plus de dire « voulez-vous acheter mes produits ? », mais plutôt « vous avez un projet, je m’occupe de vous ».

La tête de réseau doit-elle qualifier ses leads avant de les transmettre à son réseau de revendeurs ?

P. G. : « La qualification du lead est fondamentale. Elle peut se faire par un service dédié en interne ou externalisé. Un call center, le service client, les ADV… Cette étape permet d’éviter d’envoyer des leads de mauvaise qualité à un partenaire. Donc, l’alignement est meilleur, les tensions sont moindres. Il faut envoyer des leads de qualité pour montrer au réseau que vous leur fournissez des opportunités sérieuses. Cette étape permet aussi à la tête de réseau de commencer à mesurer la qualité des leads reçus et donc, si besoin, à modifier ses tactiques d’acquisition.

La qualification du lead inclut surtout la notion de maturité du projet. Un lead avec un projet de construction dans trois ans ne doit pas être envoyé directement à l’artisan. C’est le rôle du fabricant de « nurturer » ce lead, de le faire monter en maturité avant de le transmettre. »

JL R : « La qualification du lead se joue également en amont, dans les questions posées via le formulaire. Plus le formulaire est intelligent – qu’il s’agisse d’arbres de décision, de guides de choix, de configurateurs ou d’outils boostés par l’IA – plus le consommateur précise son projet et plus le lead sera de qualité. »

Est-ce que les industriels disposent tous d’un outil de gestion de lead rattaché à leur espace pro ? Ou est-ce que les vieux fichiers excel existent toujours ?

P.G : « Ils existent toujours ! Malheureusement. Avec Jean-Lou, c’est notre jeu favori lors des salons comme Artibat : interroger les exposants sur leur gestion des leads. Encore trop souvent, on nous parle de gestion des leads par un animateur commercial qui appelle l’artisan ou lui envoie un mail. Aucun process. Aucune mesure. aucune traçabilité. À l’ancienne. C’est rarement documenté et intégré en base de données. C’est aussi lié à une problématique culturelle : l’industriel est naturellement tourné vers son produit, sa ligne de production, sa logistique. Beaucoup moins vers sa base de données ou sa qualité de relation client.

L’outil de gestion de lead rattaché à l’espace pro est essentiel. Et c’est aussi et surtout une question humaine. Il faut l’adhésion du réseau, et une réorganisation de l’efficacité commerciale chez les artisans« 

JL R : « Au Phare, nous sommes des ardents défenseurs des outils sur mesure, fabriqués brique par brique et qui s’adaptent à la culture de l’entreprise industrielle. Acheter un outil sur étagère dont on n’utilise que 5 % des fonctionnalités est coûteux et inefficace. Voire même contre productif. Il sera sous-utilisé, à la fois par la tête de réseau et par les artisans. Tout doit être fait pour faciliter la vie du client pro et celles des ADV également.

Un CRM standard ne suffit pas pour faire de la vraie gestion de lead dans le cas précis d’une marque à réseau. Il y a tellement de règles spécifiques à prendre en compte. Un CRM est fait pour organiser le fichier client, pas pour opérer le virage culturel nécessaire. »

La réactivité commerciale est un point clé. Comment se règlent les workflow de lead management ?


P.G : « La réactivité, c’est l’une des plus grosses fuites en matière de lead management. Le consommateur final s’attend à être appelé immédiatement. Mes années de télémarketing me disent qu’il vaut mieux positionner un rendez-vous sur un agenda, même s’il est potentiellement déplacé, plutôt que de devoir rappeler quelqu’un plusieurs fois sans l’atteindre. Parfois, 5 rappels seront nécessaires.

Le workflow de lead management doit être déterminé spécifiquement pour chaque marque, trouvant le juste curseur entre réactivité et trop d’agressivité commerciale. Si le premier artisan ne prend pas le lead, il doit repartir très vite dans un workflow vers un autre professionnel du réseau. Et la tête de réseau doit pouvoir suivre tout ça, piloter, mesurer et si besoin, changer la règle du jeu en cours de route. Faire des réglages en permanence. La clé est là. »

JL R : « Exactement. Ce sont ces petits réglages de workflow qui font toute la différence. Et c’est ce que permet un outil digital sur-mesure. A l’inverse, vouloir “tordre” un outil sur étagère peut s’avérer très complexe, très coûteux et très long. Incompatible avec une dynamique business.

Pour le dire autrement, lorsqu’un industriel ouvre le capot de son outil de gestion de lead, il doit pouvoir facilement faire de nouveaux réglages… sans être obligé de sortir le moteur. Le temps n’est pas le même. Et il doit y avoir un “chef mécanicien” – un « product manager » par exemple – qui incarne cette problématique et embarque les équipes commerciales et marketing. »

Faut-il rendre le lead payant pour le réseau ?


JL R : « Oui, je suis un ardent défenseur du lead payant. Premièrement, ce qui est gratuit n’a pas de valeur. Si l’artisan paie, il prêtera plus d’attention au lead. Deuxièmement, cela permet de créer un modèle économique pour participer au financement des campagnes d’acquisition. Les leads peuvent aussi être payants mais remboursés au pro s’il finalise la vente. c’est un deal gagnant-gagnant. Tout ceci nécessite un contrat d’engagement clair qui définit les droits et devoirs de chaque partie, notamment la copropriété du lead. Car légalement, un lead appartient au tiers de facturation, donc au revendeur. Mais la tête de réseau doit pouvoir garder la relation dans le temps pour proposer d’autres produits, d’autres services, mesurer la satisfaction, organiser une séance photo, un témoignage… »

P.G.: « Sur cette question du lead payant, je suis assez d’accord avec ce point de vue à condition que la tête de réseau apporte de la valeur. La qualité du lead transmis doit être irréprochable. C’est un travail de pédagogie et d’accompagnement du réseau, en expliquant l’investissement fait par la marque en amont.

Cela prend 2 à 3 ans pour qu’un réseau adhère à une stratégie de lead payant. Il faut pouvoir défendre la stratégie et prouver la qualité des leads. Il faut aussi revoir le rôle de l’animateur commercial et l’accompagner pour qu’il puisse gérer ces sujets avec les revendeurs. »

Pour finir, est-ce-que les leads froids sont bien gérés par les industriels ou totalement oubliés ?

P.G : « Le nurturing des leads froids, c’est très souvent – pour ne pas dire toujours – le parent pauvre de l’histoire.  C’est un potentiel business énorme… qui est mis au congélateur. Les fabricants ne s’adressent pas assez au consommateur final. Ils n’ont ni la culture, ni les outils marketing pour gérer leur base de données de leads. Ils doivent apprendre à mieux connaître leur consommateur final. Le nurturing consiste à garder le contact avec ces leads, dans le temps, à les « scorer » pour connaître l’évolution de leur degré de maturité. »

JL R  : « Patrice a très bien résumé. C’est un changement culturel qui consiste à s’intéresser au consommateur final. Ce n’est pas si compliqué à mettre en place pour les entreprises, il faut juste y aller « marche par marche ». C’est le sens de l’histoire si elles veulent maîtriser leur destin commercial. »